Création: La chance

La chance



Au-dehors, plusieurs maisons défilent sous mes yeux et les rayons du soleil viennent agresser ma vue. Alors, je tourne la tête et m’adosse sur le cuir du banc. Je soupire. L’autobus s’arrête au coin de ma rue, 113e avenue. Après 10 secondes,  je descends et je marche lentement en comptant les maisons, parfois un arbre garni de feuilles colorées se manifeste à mon regard. C’est à ce moment-là, entre la sortie de l’école et l’arrivée à la maison, que je me sens calme. Je continue mon chemin jusqu’à croiser le stationnement de l’immeuble d’appartements et je me dirige vers l’entrée 937. J’entends une voisine discuter avec une autre, celle-ci critique la présence d’animaux dans les appartements, ce que le règlement de l’HLM interdit. Sans les regarder,  j’entre et grimpe les escaliers. Au troisième étage, je sonne à la porte 5, n’ayant pas obtenu de réponse, je me dépêche à déverrouiller la porte. Suite à mon entrée, je dépose mon sac à dos sur le fauteuil du salon et d’une main, je flatte ma chatte Mitsou. Il est 16h30, alors je débute mes devoirs. Vers 18h00, je suis prise d’inquiétude, donc je me mets à téléphoner à l’oncle de ma mère, puis je discute avec lui.

Dès que je raccroche, mes épaules s’affaissent. Je saisis mon manteau immédiatement et verrouille la porte. Je marche d’un pas saccadé, les mains dans mes poches et les yeux embrouillés par les larmes. J’insulte ma mère de tous les noms dans le silence de la soirée, parfois même je dis mes pensées à voix haute comme si elle était à mes côtés, en lui soumettant des arguments. Sans délicatesse, j’ouvre la porte du bar au bout de notre rue, rapidement je la trouve encore assise là comme d’habitude. Elle appuie automatiquement sur les touches de la machine de Loto-Québec. Je commence à la critiquer devant les regards des autres, quelques-uns d’entre eux affichent un air de désapprobation, exigeant une certaine compréhension de ma part. C’est à cet instant-là que je suis assiégée d’émotions diverses. Je respire et expire à plusieurs reprises, je l’observe quelques instant; ses traits sont tirés, elle tremble quand elle saisit la tasse de son café sur le dessus de la machine. Je m’assois à ses côtés sur une chaise et je fixe à présent l’écran, le solde est à vingt dollars. Elle dépose sa tasse où elle était auparavant et elle met sa main droite dans sa poche de pantalon. Aussitôt, elle sort quelques billets verts. À la fixer ainsi, je me rappelle de nombreux moments. Les gens assis autour du comptoir rigolent et avalent à grandes gorgées leur bière. Mon nez se plisse. Derrière moi, j’entends les boules de billards se faire frapper.

Lorsque j’étais enfant, la loi n’était pas encore en vigueur proscrivant l’usage de Loto-Québec pour les 18 ans et moins. J’étais donc assise sur les genoux de ma mère devant ces machines, mais dans d’autres bars. Je buvais ma boisson gazeuse à l’orange et je regardais les jeux différents sur l’écran dans lesquels ma mère jouait. J’aimais le plaisir de toucher sur la touche rouge, il était écrit en noir « Jouer ». Le jeu que je préférais était le « Keno ». J’aimais quand elle gagnait, j’étais selon elle son porte bonheur. Parfois, pour me récompenser, elle me donnait cinq dollars. J’aillais le mettre dans ma boîte, j’admirais les papiers, les sous qui se mélangeaient dans cette boîte en métal et de temps en temps, je les classais. Depuis la rémission du cancer de ma mère, son corps a été affaibli et peut-être même ses pensées. Je me sens lourde à cette idée. Il y a quelques semaines, avant qu’elle parte au bar pour danser et boire avec son amie, qui se trouve à être la voisine d’en face, j’avais peigné ses cheveux courts poivre et sel, l’avais habillée et maquillée, puis elle était devenue par cette transformation une femme confiante. Elle était revenue de la soirée avec la voisine vers trois heures du matin, soule. Des bruits dans le corridor m’avaient réveillée. J’ouvrais la porte et voyais ma mère étendue sur le sol avec un verre cassé dans la main, le sang coulait. La voisine nommée Catherine riait. J’entrepris de la tirer à l’intérieur de l’appartement et de l’installer sur le divan. Essoufflée, je courais partout pour lui trouver d’autres vêtements et je la déshabillais. J’enlevais le sang, je désinfectais sa plaie et je lui posais des questions sur sa santé. Elle se mit à pleurer et son visage devint comme celui d’une enfant souffrant d’insécurité. Je la berçais. Elle eut aussitôt des paroles incohérentes comme des gazouillements, puis son visage touchant devint apeuré et cria à Dieu de lui pardonner. Elle agita les bras dans les airs, puis se mit les mains sur son visage.

Ce soir, très tard à la fermeture du bar, une fois à la maison, elle me dira qu’elle m’aime et qu’elle veut mon pardon, comme le jour où sa main était en sang. Noëlla est son prénom et je la nomme toujours ainsi au lieu de maman. Elle me répète souvent ces mêmes mots, me disant que je ne suis pas comme elle, que je suis aux études et je n’aurai pas d’échecs. Je la console et je soupire encore. Il y a fort longtemps, elle était heureuse, alors qu’elle travaillait comme concierge au palais de justice. J’allais l’aider admirative, mes petites mains poussaient le chariot de produits nettoyants et j’apprenais l’utilisation de ceux-ci. Nous allions avec le chariot du sous-sol au quatrième étage. J’éprouvais du dégoût face aux cendriers, ma mère les vidait dans le sac à poubelle et la cendre dégoûtait mes narines.

Ma mère se retourne, faisant un demi-sourire et m’assurant que je vais surement lui porter chance. Elle appuie sur le bouton rouge, les trois rangés de symboles à l’écran bougent à grande vitesse et ils s’arrêtent. Au centre, deux sept et une orange s’alignent, elle a perdu soixante-quinze sous de sa mise. Elle rejoue presque jusqu’à la fermeture du bar. C’est alors qu’elle se lève de son banc et va vers le comptoir, j’imagine dans ma tête les billets qu’elle va retirer ou échanger, mais elle revient avec une boisson gazeuse qu’elle me tend. Un homme vient s’assoir sur une machine à notre droite et mise à son tour. Je l’observe, ses traits sont aussi tirés. Le son de la machine se fait entendre comme celui qu’on entend à télévision lors de l’émission The Price Is Right, quand la roulette est tournée par les trois candidats. Ma mère enfile son manteau et me déclare qu’elle a tout perdu. Nous quittons le bar sous le regard de quelques personnes. Elle chuchote : « Demain, peut-être je gagnerai, demain je pourrai te rendre heureuse… ». Nos mains se tiennent pendant que nous marchons, la sienne est froide et plissée. Mon cœur bat rapidement.

Une fois dans l’appartement, elle me demande si j’ai mangé, de la tête je lui dis non, elle me fait alors des toasts. Son couteau qui tartine le pain, étale lentement le beurre d’arachides, car ses gestes se font tristes. Je la prends dans mes bras, ses genoux fléchissent, puis sa tête se repose au creux de mon cou. Je regarde notre reflet à la fenêtre face à moi et je comprends qu’elle a besoin de moi.


Réflexion critique: 


Il est original de créer une situation différente, avec une moyenne d’âge différente à celle des romans étudiés. Les deux romans analysés démontrent la maturité d’une personne vieillissante dont le corps et les pensées se dégradent, mais qui bénéficie toujours de l’admiration de ses enfants. Les parents ont besoin du soutien de leurs enfants. Les enfants se souviennent de leur parent et de la relation qu’ils partageaient avec eux autrefois, mais ils doivent accepter l’état de leurs parents maintenant. La relation entre parent et enfant se trouvent à être inversée. Ma création de l’histoire représente la relation parent-enfant toujours sous forme de relation inversée, mais dans un autre contexte. Sylvie doit s’occuper de sa mère, voilà l’inverse de la relation parent-enfant. La mère se dégrade comme si elle redevenait plus jeune et a besoin de soutien de la part de son enfant. L’enfant doit accepter cet état et il le fait à première vue dans l’histoire par ses gestes et ses paroles, mais moins bien au fond de lui, psychologiquement. Sylvie admire sa mère telle qu’elle était dans le passé, mais son opinion à propos de celle du présent est nuancée.

Mon intention est de montrer dans mon histoire un autre angle d’approche, afin de décrire la maturité et la relation de dépendance entre le parent et l’enfant. J’emploierai un type d’inversement de rôles différent de celui des œuvres analysées. Il est intéressant d’exploiter ces sujets dans un milieu qui touche un public moins vieillissant pour démontrer que mon analyse s’applique à différents types de vies. L’histoire, contrairement aux romans étudiés, démontre le point de vue du personnage principal et non celui de l’auteur. Le contenu de l’histoire en résumé est le suivant:

Sylvie a 15 ans et encore une fois, elle entre à la maison à la fin des cours. Elle remarque que sa mère Noëlla de 46 ans est absente. Cette absence, la jeune fille en connaît la raison. Quotidiennement, elle doit aller retrouver sa mère au bar pour la sortir de là. La relation avec celle-ci est inversée, la fille s’occupe de sa mère et de la maison. Ensemble elles vivent ces moments douloureux, l’une vieillit psychologiquement plus vite que son âge alors que l’autre rajeunit.

Le genre littéraire est une nouvelle ayant un contexte actuel avec des ordres sociaux, afin de rejoindre la société d’aujourd’hui. La tonalité de l’histoire est un mélange de joie et de tristesse, selon la situation et les pensées du personnage. La création exploite autrement le sujet des œuvres étudiées, mais le résultat est semblable. Il s’agit d’un narrateur interne « Je » dans les trois textes. Dans les deux œuvres étudiées, le point de vue du personnage principal reflète également celui du narrateur, puis de l’auteur, étant donné qu’il s’agit de romans autobiographiques. D’ailleurs, le style se veut détaillé comme celui qu’on retrouve dans les romans analysés, cette caractéristique illustre également son ambiance. J'ai tenté de faire vivre les scènes sans devoir tout expliquer, afin de laisser place à l’interprétation.